Résumé : Considéré au Moyen Âge comme relevant du domaine de l'Histoire, le mythe de Troie a servi à représenter le rapport de l'Occident à la croisade. Dans les chroniques, les références au siège antique en soutiennent la légitimation, en particulier lorsqu'il s'agit de la prise de Constantinople en 1204, comme en témoignent deux poèmes insérés dans l'Hystoria Constantinopolitana de Gunther de Pairis (1205-1206). La matière troyenne des XIIe et XIIIe siècles, de Benoît de Sainte-Maure à ses mises en prose (en particulier la première mise en prose du Roman de Troie vers 1280 et l'Historia Destructionis Troiae de Guido delle Colonne vers 1287), font entrer dans l'histoire troyenne les échos de la quatrième croisade, imposant à la légende des variations qui déclinent les ambiguïtés politiques et religieuses de la relation au monde byzantin. D'autres oeuvres amplifiant la légende (Le Roman de Landomata, rattaché à Prose 1, et le Roman d'Hector et Hercule, XIVe siècle) prolongent cette représentation idéologique en l'étendant, à travers de plus vastes territoires, jusqu'à la Terre Sainte. L'histoire troyenne a été perçue non seulement comme un mythe de construction des dynasties et des cités occidentales, mais encore, à partir du XIIIe siècle, comme un véritable "best-seller" de la croisade, suscitant production, copies, jeux d'identifications et de superpositions. Paradoxalement le mythe païen, dans ses métamorphoses, aura servi aux Occidentaux à modéliser leur rapport à la religion, à la Terre Sacrée, au Salut.