« La place de la fiction dans l'exégèse homérique, de Platon à Eustathe de Thessalonique »
Résumé
Alors que l'époque impériale voit se multiplier les formes de littérature fictive (**) , il peut sembler paradoxal de se détourner de ces formes nouvelles pour chercher la fiction dans l'analyse que les Grecs font, au cours de cette période, d'une oeuvre bien antérieure : l'Iliade. Pourtant, cette oeuvre indissociable, pour nous, de la tradition épique et que nous identifions, du point de vue du genre littéraire, à une épopée, est en réalité, pour les Grecs, une oeuvre complexe : Homère raconte une guerre qui a existé, certes, mais qui ne s'est pas nécessairement déroulée comme il l'a décrite, et à laquelle il ajoute du merveilleux. On peut ainsi concevoir une partie des épisodes relatés dans l'Iliade comme fictifs, à défaut d'appréhender l'ensemble de l'oeuvre comme une fiction. L'intérêt de s'interroger sur la dimension fictive de l'Iliade est de se plonger dans l'exégèse d'Homère, qui est d'une richesse incomparable. L'Iliade est en effet un formidable laboratoire de critique littéraire, et c'est au sein de l'exégèse homérique que s'affine l'arsenal critique des Grecs. Je vais donc m'intéresser au vocabulaire qui permet aux Grecs d'identifier, chez Homère, une part plus ou moins grande de fiction. Cette enquête nous amènera en réalité à passer en revue tout ce qui peut freiner la reconnaissance de la fiction – car l'époque impériale, comme je vais essayer de le montrer, va restreindre considérablement la dimension fictive de l'Iliade, faute de l'appréhender en termes de mimèsis. Cette tendance est nette quand on regarde ce qui a précédé et ce qui va suivre l'époque impériale, en allant de Platon à Eustathe de Thessalonique. L'époque impériale est en effet, par excellence, l'époque du plasma, identifié dans certaines tripartitions – sur lesquelles je vais revenir – comme de la « fiction ». Or, plus le plasma supplante la mimèsis, et moins, en définitive, les épopées sont « fictives », à tel point qu'on peut se demander si ce n'est pas la mimèsis qui, dans l'Antiquité, est le concept le plus apte à rendre compte de la « fiction » que construisent les poètes. (**) Voir la préface du présent volume.
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)