L. Enfant and . Starets-zossime-commence, Mais comme s'il pressentait que ce discours de consolation religieuse, qui fait fond sur une théodicée, était fondamentalement déficient au regard de la souffrance brute d'une mère à qui son enfant manque, le starets Zossime passe par une médiation, qui n'est autre que la médiation même de la littérature comme réservoir d'exemplarité. « Voilà, quoi, la mère, répondit le starets, une fois, un saint des anciens temps en a vu dans un temple une comme toi, une mère qui pleurait son petit, son fils unique

, Ainsi donc, toi aussi, mère, sache-le [?] et ainsi donc, ne pleure pas, mais réjouis-toi ». Le starets Zossime pressent que le présent n'a pas l'autorité nécessaire pour convaincre la mère en deuil : il faut l'adosser aux exempla du passé, à l'autorité d'un grand saint, validée par la mémoire collective. Mais même cela ne marche pas. Sans colère, sans irritation, la mère, qui a la foi -mais cela ne suffit pas -, dit qu'elle sait déjà tout cela, qu'on lui a déjà dit, mais qu'elle pleure quand même, qu'elle ne peut pas arrêter de pleurer, que l'absence de son enfant la torture. Elle ne conteste pas le contenu du discours de consolation, elle ne le réfute pas, elle ne fait que dire, humblement, sans colère, que quelque chose en elle ne se laisse pas consoler par ce savoir-là. Et le starets, corrigeant alors son propos, comprend et renonce à essayer de consoler. Mais peut-être parce que ce constat (qui fait battre en retraite la foi toute entière) est trop difficile à assumer, il se réfugie dans un autre référence à une expérience passée, dans une autre littérature. Ce qu'il cite alors, c'est l'Evangile de Matthieu, qui, racontant le massacre des innocents, cite elle-même la prophétie du Jérémie de l'Ancien Testament. « Cela, reprit le starets, cela, c'est l'antique « Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu'ils ne sont plus », et telle est bien, vous, les mères, la condition qui vous est faite sur terre, Zossime lui transmet alors le discours de ce saint à la mère de jadis -son petit est parmi les anges, et loin de s'affliger, elle doit plutôt se réjouir pour lui. « Voilà ce qu'a dit le saint à la femme qui pleurait son fils dans les temps anciens

, Il n'y a pas à maudire la littérature, ni à s'insurger contre sa déchéance morale : son impuissance fondamentale la réhabilite. Le chagrin de la mère dément l'efficacité consolante du discours de théodicée, sans le défaire pour autant. Il l'oblige à battre en retraite, en ce lieu précaire où le starets Zossime tente de se replier, en s'accolant à ce mystère exemplaire d'un antique et immémorial refus de se laisser consoler, dont la littérature -la sainte littérature ? -a fossilisé la trace. L'espace commun, le seul que la littérature peut et doit espérer incarner, est sans doute là : dans cette expérience partagée du scandale, dans ce refus commun de l'admettre, de l'accepter, de s'en accommoder. Le refuge est précaire, et le starets Zossime, en son monastère, n'y est pas vraiment à sa place, car « Rachel refusant de se laisser consoler parce que ses enfants ne sont plus

, Frédérique Leichter-Flack Maître de conférence en littérature comparée